L’école, le voile et les lois

Le voile est autorisé pour tous sauf pour les musulmanes.

Trois semaines après la rentrée scolaire 2012 et en pleine affaire « Charlie Hebdo » j’ai pu lire le règlement intérieur (1) du lycée Victor Hugo à Marseille. Ce règlement doit être signé par les parents et par l’élève. Son article 1.2.4  intitulé « laïcité » interdit « le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».

Outre le fait qu’il me parait bien discutable de faire signer à un élève de 15 ans un règlement scolaire dont les termes sont parfois bien flous, ce texte pose plusieurs problèmes quant à son interprétation et à son application. Il montre surtout qu’une seule solution est envisageable pour rétablir la paix scolaire sans viser une religion plus qu’une autre. Ca devrait être l’objectif primordial d’un établissement baptisé du nom de celui qui dans son testament écrivit :

« Je refuse l’oraison de toutes les églises » (2).

Des termes vagues et une religion bien visée :

Tout d’abord qu’est-ce qui est distinctif, ostensible ou ostentatoire ? Si je croise rue Thiers à Marseille à minuit une quinquagénaire en bas résille, minijupe rose et talons aiguilles patientant devant le pas-de-porte miteux d’un immeuble, je sais qu’elle ne va pas me proposer de signer une pétition de Greenpeace. Et je le sais parce que sa tenue est distinctive. Ostentatoire. De même on distingue aisément sur la voie publique une religieuse bénédictine d’un moine bouddhiste theravada.

Mais personne – à ma connaissance – ne va à l’école habillé en bonze ou déguisé en Sœur Marie-Thérèse des Batignolles. Le problème que pose cette loi repose donc sur des signes beaucoup moins évidents et parfois partagés par plusieurs religions ou tout simplement rentrés dans la mode. La loi ne précise pas de liste des fameux signes distinctifs et ostentatoires. C’est donc à chaque collège ou lycée, au gré du zèle et des connaissances théologiques de son chef d’établissement, de faire appliquer le règlement intérieur. L’école est donc confrontée au quotidien à une injustice criante et à des débats dignes d’un grand n’importe quoi : « faut-il ou non interdire aussi le bandana aux élèves musulmanes », etc..

Le voile est autorisé pour tous sauf pour les musulmanes.

Puisque c’est visiblement le voile dit islamique qui est visé on peut légitimement s’interroger sur la possibilité de porter un voile « non islamique ».

Certaines femmes et filles rom elles-mêmes portent un foulard sans qu’il ne s’agisse d’un « signe distinctif religieux ». On peut donc déduire de l’interdiction d’arborer des signes religieux ostensibles à l’école qu’il est possible pour une fillette athée, bouddhiste, raëlienne ou opérée des dents de sagesse de porter un foulard puisqu’il s’agirait d’un accessoire de mode et pas d’un signe distinctif et ostentatoire de sa religion. Pour faire bref, selon les termes mêmes de l’article L141-5-1 du code de l’éducation (3), toute fillette pourrait porter un voile à l’école sauf les musulmanes puisque ce ne serait un signe religieux que pour ces dernières ! Pour empêcher ce type de raisonnement, on pourrait prévoir que soit interdit tout port de signe distinctif même par ceux qui ne sont pas de la religion intéressée par ledit signe.

Les dreadlocks d’un rastafari, pour le moins ostentatoires de ses croyances, sont répandues à l’école sans que ça ne gêne visiblement personne.

Mais alors quid des dreadlocks ? Car voilà un signe distinctif religieux pour le moins ostentatoire. Le port des dreadlocks est une des caractéristiques du mouvement rastafari (et des sādhu hindouistes). Sur ce simple constat, il faudrait interdire cette mode capillaire à l’école, qu’elle soit arborée ou non par de vrais croyants rastafari qui ne doivent représenter qu’une infime minorité des chevelus scolarisés.

Dans la même veine, lorsqu’on aperçoit à 200 mètres deux types en costume noir avec un badge gris interpeller les passants on sait que ce sont des mormons (ou des huissiers de justice). En ce sens, être par deux en costume noir est un signe distinctif des mormons. Faut-il interdire le costume noir ?

Et la jupette ras-la-touffe façon pouffe n’est-elle finalement pas un signe distinctif religieux ? Etre athée, ne croire en rien qui soit de nature divine n’est-il pas en soi une croyance, voire même une religion ? C’est la posture d’un nombre croissant de philosophes et d’historiens (tels que René Rémond)  qui voient dans l’athéisme tous les signes (pour le coup « distinctifs ») d’une religion. Cette religion athéiste aurait d’ailleurs tendance via une interprétation erronée de la laïcité, à devenir la religion d’Etat de la France.

Des t-shirts goths satanistes jusqu’au 3ème œil hindouiste, on pourrait continuer à n’en plus finir la liste des signes distinctifs religieux qui visiblement n’intéressent ni le législateur ni les chefs d’établissement.

Ce type de loi ou de règlement scolaire est donc totalement injuste et il est surprenant que les chefs d’établissement ne soient pas plus souvent confrontés à des familles allant chercher midi à 14h en contestant purement et simplement la notion de « signe distinctif religieux » au lieu d’invoquer la liberté de culte.

On voit ainsi  que c’est une, et une seule, religion qui est visée par cette loi inepte sur les « signes distinctifs religieux » : la religion musulmane. Et il n’y a pas besoin d’un cours de mathématique pour y voir ici la géométrie variable appliquée à son interprétation.

Une, et une seule solution :

Il y a pourtant bien une solution pour réconcilier l’école avec ses élèves tout autant qu’avec les principes de laïcité. Cette solution n’est ni nouvelle ni révolutionnaire : il s’agit de faire porter un uniforme aux élèves de l’enseignement public. De préférence payé par l’Etat.

Finis les concours de beauté à la rentrée scolaire ! Finie la surenchère de marques coûteuses et parfois clivantes à la récréation ! Finie une partie de la délinquance de certains jeunes qui poussés par la dictature des marques vont faucher du Lacoste aux Galeries Lafayette pour s’habiller dans l’air du temps. Finie l’explosion du racket à l’école directement liée à la richesse (« réelle ou supposée » comme on dit de nos jours) qu’affichent certains élèves. Et finies les lois débiles sur les signes distinctifs religieux à l’école.

Le plus étonnant dans l’histoire, c’est qu’il s’agit d’une mesure qui ne ferait descendre à peu près personne dans la rue. Même les lycéens se sentiraient un peu idiots de manifester pour le droit de porter des Nike de 8h à 17h. Quant aux parents, dans cette période de crise économique et de dictature du paraître, ils seraient enfin heureux de faire des économies dans le budget vestimentaire tout en étant libérés de l’ingratitude de la tâche moralisatrice de dire à leur fille un peu conne d’éviter le port du string apparent ou à leur fils gothique d’annuler son projet de piercing nasal. Débarrassés des contingences d’apparence on peut imaginer – ou en tous cas espérer – que les élèves consacrent à la recherche de meilleurs résultats scolaires les efforts qu’ils consacrent aujourd’hui au choix quotidien et cornélien de leur tenue vestimentaire.

Une chose est sûre, c’est que les différences sociales et religieuses seraient ainsi gommées dans ce lieu public qu’est l’école.

Mais pour quelle raison ne pas imposer le port de l’uniforme scolaire dans l’enseignement public alors qu’il semble n’avoir que des avantages et que très peu de professeurs et de parents y seraient radicalement opposés ?

C’est à mon avis pour une raison simple : la poignée d’idéologues givrés qui gravitent dans les sphères décisionnelles de l’Education nationale est allergique à toute règle éducative rappelant peu ou prou ce qui se faisait avant que l’Etat ne fasse appel à leurs lumières. Ce sont ces mêmes hauts fonctionnaires qui mettent au point les programmes et les méthodes éducatives qui font que 85% des bacheliers ont leur diplôme sans pouvoir écrire une seule ligne grammaticalement juste et que les 15% qui restent sont ceux qui ne se sont pas déplacés aux épreuves comprenant que ça ne leur servirait à rien.

La plus grande hérésie dans leur cervelle atrophiée d’idéologue c’est le « C’était mieux avant ! ». On peut donc sacrifier tout bon sens et toute intelligence sur l’autel de la destruction du « C’était mieux avant ! ». Ainsi une loi, un programme ou un règlement qui contiendrait dans son esprit une parcelle de « ce qui fût » est forcément mauvaise, rétrograde voir même, pourquoi pas, fasciste. L’uniforme scolaire c’est le mal ! C’est les scouts ou les « Choristes » et les plus médiatiques des idéologues y verront même une réminiscence des jeunesses hitlériennes. J’exagère hélas à peine.

L’uniforme scolaire dans l’école publique ne devait pas traumatiser les élèves et évitait aux parents de grandes dépenses vestimentaires.

Quand on sombre dans de tels excès et quand l’orientation des grandes décisions éducatives d’un pays est mise entre les mains de quelques dizaines (tout au plus) de ces nazes, on comprend que le mot d’ordre soit que le pire est préférable à l’ancien. Mieux vaut des lois ciblant une religion et mieux vaut que l’école soit un festival de marques contribuant autant à exacerber les différences entre classes sociales qu’à la délinquance. Mieux vaut tout ça que de revenir à une époque pas si lointaine où sans qu’il y ait besoin de lois inapplicables deux camarades de classe assis l’un à côté de l’autre pouvaient être fils d’ouvrier ou de préfet, catholiques ou musulmans sans même qu’on ne puisse les distinguer.

Il est d’ailleurs amusant mais édifiant de voir que ceux qui politiquement devraient être pour le port de l’uniforme y sont farouchement opposés en raison de leur haine du « C’était mieux avant ». C’est le cas du Front de Gauche qui devrait militer pour la disparition des marques et des signes religieux à l’école. Mais non ! Le symbole même du capitalisme triomphant est préférable au retour de règles pouvant s’apparenter à une nostalgie du passé.

Dans ces conditions, l’école continuera pour les cinq années à venir à être un lieu de combat au lieu d’être un lieu de savoir et de repos et notre Assemblée nationale de députés godillots continuera ses débats picrocholins pour savoir comment taper au mieux sur une religion sans paraître fasciste et sans paraître nostalgique de la Gloire de mon père.

Franchement, c’était mieux avant…

 

1) http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-aix-marseille.fr/spip.php?article55

2) http://books.google.fr/books?id=2rrr_zwYOPIC&lpg=PA45&ots=_u4kLioIIk&dq=Je%20donne%20cinquante%20mille%20francs%20aux%20pauvres.%20Je%20d%C3%A9sire%20%C3%AAtre%20port%C3%A9%20au%20cimeti%C3%A8re%20dans%20leur%20corbillard&hl=fr&pg=PA45#v=onepage&q=Je%20donne%20cinquante%20mille%20francs%20aux%20pauvres.%20Je%20d%C3%A9sire%20%C3%AAtre%20port%C3%A9%20au%20cimeti%C3%A8re%20dans%20leur%20corbillard&f=false

3) Article L141-5-1 du code de l’éducation créé par Loi n°2004-228 du 15 mars 2004 – art. 1 JORF 17 mars 2004 en vigueur le 1er septembre 2004 :
Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève.